Ah, je les entends déjà les médias qui vont claironner dès demain que l'année fut exceptionnelle, l'affluence nombreuse, que le salon du livre de Paris a encore été un succès, et patati et patata !
Comme tu le sais, ta Tata tenait un stand au salon du livre de Paris : le stand pipi. C'est dire si c'est un des plus fréquentés, sinon le plus couru du salon et c'est ainsi que je suis sans doute généralement chaque année un des rares postes des plus bénéficiaires de l'industrie éditoriale. Un stand où tous les auteurs, les éditeurs, les agents, les lecteurs passent... Un stand où tout se joue... Tiens : où crois-tu que sont négociés les transferts d'auteurs ? Comment ça s'est passé, hein le passage de Chattam de chez l'un à l'autre, en toute discrétion des allées arpentés par les espions concurrents ? Ah, si je racontais tout ! Tel auteur qui rédige vite fait un synopsis sur une feuille que lui prête ta Tata car il vient de croiser un ponte de l'édition, tel autre qui force la porte d'un éditeur en pleine occupation... Si on a tant de bons polars en France, hé bien, crois-moi le stand de ta Tata n'y est pas pour rien.
Mais revenons à ce qui me turlupine : juge-toi même sur cette photographie prise lundi en début d'a-m, à une heure, normalement d'affluence de cette journée "pros"... : pas un chat. Juste une copine écrivain passée déposer des exemplaires de son manuscrit dans les cabines dans l'espoir que là, au moins, il sera lu. Oui, tu peux le dire : ça fait peur. J'ai fait à peine une poignée de piécettes jaunes (au prix du stand, merci!) et en plus, le comble : il y en a même un qui m'a piqué ma petite soucoupe.
Que se passe-t-il bon sang dans ce pays depuis quelques mois ? Oui, les Français lisent moins, oui, ils sont 30% à ne jamais ouvrir un livre... mais bon sang : ils continuent tout de même d'aller aux toilettes ! Normalement, c'était un marché captif. Et il y aura toujours des livres, des auteurs pour en pisser et des lecteurs contraints par leur métabolisme !
Est-ce dû vraiment à la crise ? Je ne sais que penser. Tout le monde est tétanisé, repousse les projets, ralentit la cadence des publications... Mais c'est à ce point aussi qu'ils se retiennent aussi de pisser ? Je ne comprends pas. Combien de temps vont-ils tenir ? Si l'urée passe dans le sang, ça crée des hallucinations : comme si dans le milieu il y en avait pas déjà assez à prendre leur vessie pour une lanterne !
On est bien barrés... La rétention n'est absolument pas une solution d'avenir. Il y a bien un moment où il faudra dans le business comme ailleurs lâcher les vannes si on veut sortir de cette morosité !
Alors on me dit : "la crise ramène sans doute les gens vers un repli sur soi, des nouvelles pratiques... Peut-être qu'il y a un retour de la miction à domicile". J'en sais rien. J'écoute ce qu'on me dit. J'essaie de me faire une opinion. On me dit aussi : "Plus rien ne sera comme avant, désormais depuis cette crise. Il faut inventer de nouvelles choses, ouvrir de nouveaux marchés. Regarde comme l'édition s'engouffre et fonce dans le numérique. Tiens le dernier Dominique Sylvain est sorti en papier et en e.book en même temps..."
J'entends, j'entends : plus d'intermédiaire, du producteur direct au consommateur, de nouveaux standards, l'évolution, tout ça... Moi je veux bien, mais je ne vois pas trop comment je vais passer l'activité de mon stand en numérique. Je me sens ce soir comme un libraire désappointé, les bras ballants devant ses cartons d'offices toujours plus abondants et invendus.
Investir dans le "e.pipi" ? D'abord je ne vois déjà pas trop comment ça peut se présenter, et puis de toute façon c'est sans doute trop d'argent à investir pour ta Tata : recruter des informaticiens, développer les logiciels, concevoir un terminoir portatif USB... Il me faudrait une levée de fonds. Et le temps que je prenne le virage numérique, si ça se trouve des petits malins dans un garage californien auront déjà développé un "Virtual Peewee 1.0" : le genre de truc génial intégrable à l'Iphone qui va me ratisser d'emblée mon propre projet.
C'est peut-être déjà trop tard.
Je vais disparaître, comme les libraires... Peut-être que le stand pipi au salon du livre, en effet, appartient au passé. Ca va devenir au mieux un truc de nostalgiques, un hobby marginal comme la bibliophilie ou alors une activité de fin de chaîne, telle la bouquinerie. C'est pas très enthousiasmant : je vais avoir que des vieux qui chipotent et mettent un temps fou à lâcher du liquide ou des étudiants fauchés toujours prêts à ergoter sur la taille de leur affaire pour gratter quelques centimes d'euros.
Ca, c'est sûr, les temps changent.
Tu le vois, ta Tata n'a pas le moral. Je me suis dit qu'il me fallait nier la crise, mais franchement, il faut vraiment être d'une détermination redoutable pour ne pas se laisser ébranler.
2 commentaires:
>>Ah, je les entends déjà les médias qui vont claironner dès demain que l'année fut exceptionnelle, l'affluence nombreuse, que le salon du livre de Paris a encore été un succès, et patati et patata !<<
Cela fut claironné au micro à 17 heures dans le salon : affluence en hausse. Je n'en ai pas cru un mot. Ni hier en nocturne, ni cet a près-midi, en mercredi, jour des enfants, il n'y eut du monde dans les allées.
Et les éditeurs interrogés (pas tous, je ne suis pas statisticien), l'ont dit : on n'a rien vendu. D'ailleurs j'ai très peu acheté.
Très peu acheté ? Pffff.
J'espère au moins que vous êtes passé à mon stand...
Ah, on est pas aidés !
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